Michel

Elias

J’ai toujours voulu être comédien

Michel Elias, comédien depuis toujours, est une voix unique et incontournable de la profession. Entre la comédie musicale, la pub, la chanson, le documentaire, le doublage, le théâtre, la télé et le cinéma... il a tout fait et tout le monde le connaît. Du doublage de Pumbaa dans “Le Roi Lion”, aux publicités les plus célèbres, voire même “cultes”, ses talents si variés et ses voix multiples on fait de lui une figure emblématique du monde de la publicité et des voix off en France.

INTERVIEW

D’où viens-tu, professionnellement parlant, comment as-tu commencé dans ce métier ?

"Tout petit déjà, comme le dit la légende" ;-), j’ai toujours voulu être comédien. Un peu rêveur-déconneur, j’ai eu un parcours au lycée, disons… un peu compliqué  ;-), jusqu’au bac; j’ai ensuite été engagé pour une saison au Club-Med en 69, où j'ai joué de petites pièces poétiques avec Alexandre Arcady et Diane Kurys; après cette saison, je rentre à Paris et je retrouve des camarades avec qui j’étais au lycée entre 66 et 68  ; il y avait Philippe Khorsand, Jean-Michel Ribes, Michel Leeb. Ribes monte “Les Fraises Musclées”, spectacle de sketches comiques, et je joue avec Andréa Ferréol, Philippe Khorsand et notre célèbre Julie de Europe 1 (plus de 300 représentations!). S’enchainent ensuite d’autres spectacles, d’autres pièces, des télés aussi, et je commence à jouer dans pas mal de choses différentes, dont un film engagé remarquable sur la guerre d’Algérie, primé à Cannes, “Avoir 20 ans dans les Aurès” avec un rôle important auprès de Philippe Léotard.

Mais, toujours sans prendre de cours de comédie ?

Ah mais si, je prenais des cours en parallèle, mais au compte-gouttes; je n’y allais pas très régulièrement, j’ai toujours eu un peu de mal avec l’enseignement trop traditionnel, le côté formel ne me plaisait pas, j’avais plutôt besoin d’apprendre par moi même, “sur le tas”, en commençant déjà à jouer. Je constate maintenant qu’il me manque des éléments, et je me remets de temps en temps à étudier, les textes, le chant, le souffle.

Mais alors, tu viens d’une famille de comédiens non ?

Pas du tout, mon père était médecin, et c’est vrai qu’il aurait voulu que je fasse des études plus poussées, mais quand j’ai commencé à jouer dans une comédie musicale « Godspell » avec Dave, Daniel Auteuil, Armande Altaï en 72, mon père se rend compte alors que je prends tout ça très au sérieux, en développant déjà une belle conscience professionnelle; j’ai rapidement des bons articles dans la presse; c’est à ce moment là que je commence en quelque sorte à me sentir reconnu.

Comment es-tu passé de la comédie musicale aux voix off ?

J’avais rencontré au Club Med une comédienne qui faisait “de la synchro” comme on disait à l’époque. Comme elle m’avait vu jouer avec de multiples voix elle m’a présenté à un studio de doublage, je pensais tout de suite faire du dessin animé, moi qui adorais ça, mais j’ai plutôt commencé par faire des “ambiances”, et pour des raisons, conjoncturelles on va dire, je ne suis pas allé plus loin que ça, à cette période.

Et la pub, les voix off ?

Eh bien justement, j’arrive au bon moment, dans les bonnes années, quand une créativité nouvelle est en train de naître, quand la Réclame devient de la Pub. Parmi le public qui vient me voir jouer au théâtre de la Porte Saint Martin, il y a des gens qui s’intéressent à moi et qui se mettent à m’appeler pour faire de la pub. Je commence donc à enregistrer des spots pour IP la régie pub de RTL, et ça marche très bien, et j’en fais de plus en plus. Je mets au point une K7 de démo voix off assez dingue, comme il n’y en avait jamais eu, dans laquelle je passe d’un registre à l’autre, du grave à l’aigu, de façon sérieuse ou décalée, sur toutes les intonations, avec tous les accents possibles… Ça a eu tout de suite beaucoup d’impact! (très impactant, comme disent les publicitaires  ;-). Je jouais aussi en tant que comédien dans des films de pub, soit je faisais des signatures ou des voix off. Quand j’enregistrais des voix, je m’impliquais beaucoup, physiquement même ; je souligne ça pour les jeunes générations et ceux qui croient pouvoir s’y essayer aujourd’hui, genre fastoche, la voix n’est RIEN, sans un comédien, sa formation et son i-ma-gi-naire ! Comédien, c’est un vrai Métier ! Enregistrer une voix, quel que soit le texte, c’est jouer, et jouer c’est incarner.
Il faut comprendre que la pub est à l’époque un formidable laboratoire pour essayer des trucs, on tentait tout ce qu’on voulait, on avait du temps et de l’argent pour essayer des choses. Un formidable espace de jeu pour un comédien! Je deviens un comédien-publicitaire à part entière, j’analyse la communication dont je suis l’interprète, je comprends mon travail de l’intérieur, sans être simplement un comédien qui vient juste enregistrer une voix dans un microphone; je vais aux réunions en agence, avec des gens comme Jacques Séguéla, Jean Feldman, Philippe Michel… on me demande mon avis, je fais la Une des journaux de la profession, Christian Blachas (Culture Pub) parle régulièrement de moi, je suis invité sur les plateaux de Canal+ avec Philippe Gildas et Jérôme Bonaldi, invité aussi à plusieurs reprises sur les plateaux télé de Jean-Luc Delarue... Je réalise également quelques films de pub, des comédies, dont le tout premier obtient un prix Stratégies. Je deviens à l’époque un incontournable de la voix off pub, grâce à cette diversité, cette multiplicité d’expression vocale et de jeu, ma compréhension interne du métier… et tout cela dure des années et des années.

Mais durant cette période, tu ne fais que de la pub ?

Non, pas que… je tourne comme comédien dans des émissions et dans des séries-télé, dans des films institutionnels aussi, pour de la communication et formation interne d’entreprise, des films complètements barrés plusieurs fois primés à Biarritz que je co-écris, j’enregistre également de plus en plus de films documentaires, et aussi beaucoup de contes pour enfants, plaisir profond que je continue de transmettre aujourd’hui d’ailleurs. À l’époque, plus j’avançais dans la voix off de pub, moins le doublage voulait de moi. Aujourd’hui la mode dans la pub est aux comédiens-vedettes de doublage qui sont la voix française de tel ou tel acteur, des voix reconnaissables comme le grand Patrick Poivey-Bruce Willis, Céline Montsarrat-Julia Roberts, Richard Darbois-Harrison Ford, Benoît Allemane-Morgan Freeman, Emmanuel Curtil-Jim Carey, Daniel Beretta-Schwarzenegger etc… à l’époque et même encore maintenant il est plus difficile de passer de la pub au doublage.

Mais tu cherchais à faire du doublage ?

Pas plus que ça ! j’étais déjà très occupé avec la pub, je n’ai donc jamais fait le forcing pour rentrer dans le doublage, où l’on doit consacrer plus de temps à l’enregistrement qu’en pub. Il faut dire aussi que lorsque j’allais enregistrer une pub, on m’attendait, on avait besoin de moi, c’était moi la voix, et ça faisait partie de la reconnaissance que je recherchais. J’avoue que j’ai peut-être à un moment fait un peu la fine bouche vis à vis du doublage; grossière erreur, il y a de belles choses à y jouer ! on commence par de petits rôles et on arrive au fur et à mesure à convaincre ceux qui distribuent les rôles de te donner un personnage plus important, mais ça je ne l’ai compris qu’après ;-)

Tu regrettes de ne pas faire plus de voix de doublage ?

Oui, mais je sais que ça va maintenant venir! J’ai éprouvé la nécessité il y a plusieurs mois de faire une formation spécifique pour le doublage, car il y a beaucoup d’éléments techniques et émotionnels à maîtriser en même temps : lire et comprendre vite, être dans l’immédiateté, la sincérité, le bon timing, coller au personnage, jouer juste… il faut être bon tout de suite !  Il y a des comédiens qui font ça tellement bien qu’il me fallait me mettre à niveau. Suite à cela, j’ai passé des essais et j’ai décroché un rôle important dans une série pour TF1 ! Et il y en aura bientôt d’autres.

Il y a des choses que tu penses avoir raté ?

Oui et non. A une époque, je travaillais beaucoup en voix off pub, j’étais un peu devenu une machine, j’enchaînais les séances d’enregistrement puis je rentrais chez moi, pour repartir dès l’aube le lendemain, un peu en mode zombie... Je ne jouais plus au théâtre. Cela m’a manqué, car il n’y a rien de plus fort que ce rapport au public. Je traversais une période de ma vie personnelle plutôt compliquée; ça a duré plusieurs années, et puis un jour je me suis réveillé et j’ai repris ma vie en main, seulement entre-temps, d’autres bons comédiens étaient arrivés, comme Jean-Claude Donda, François Jérosme, Pierre-Alain de Garrigues… je n’étais plus l’Unique, mais maintenant je me dis qu’avec ma maturité et mon expérience, c’est le bon moment pour le doublage !

Pour finir, aujourd’hui, plutôt pub, doublage, théâtre ?

Eh bien de la pub toujours, même si j’en fais moins qu’avant. J’ai aussi la chance d’avoir été choisi par France Télévision pour faire la voix d’un gentil Yéti qui raconte de belles histoires aux enfants; c’est une nouvelle série pédagogique géniale, adorable, intelligente et utile, une aide à la lecture pour les petits, c’est Yétili! La transmission, c’est une des données essentielles de notre profession; je suis appelé dans des écoles pour parler de mon métier aussi bien aux enseignants qu’aux élèves, et je coache également de jeunes comédiens. J’ai aussi travaillé avec des comédiens sourds; c’est pour moi un immense souvenir, plein d’émotions. J’étais allé voir le spectacle d’Emanuelle Laborit “les Enfants du Silence”, qui m’a profondément bouleversé. Je suis allé la féliciter dans sa loge et bien entendu, du fait qu’elle soit sourde, je ne représentais évidemment rien du tout pour elle puisqu’elle n’a jamais pu entendre ma voix, et ne savait pas quelle pouvait être ma notoriété en la matière; une rencontre vraiment poignante, très forte. Et dans ce spectacle, il y avait Fanny et Joël, deux comédiens sourds, mais pas muets, qui perdaient leurs repères au bout d’un certain nombre de représentations. Ils se sont ouverts à moi, et devant leur désarroi, je leur ai proposé de les coacher. Alors, je les ai fait travailler sur le sens du texte, sur l'articulation et la résonance du verbe dans l'espace. Je leur faisait toucher mon larynx... presque un travail d’orthophoniste, et par la vibration physique, j'arrivais à mieux faire comprendre et faire passer à la fois l'expression technique et artistique. Peu à peu, ils se sont remis à nourrir le jeu de leurs personnages. C’était certes fastidieux, mais ils ont repris confiance. Ma plus belle récompense fut lorsqu'ils sont sortis du théâtre. Ils m’ont dit qu'ils avaient retrouvé sur scène le sens de leur spectacle, qu'ils en étaient formidablement heureux, et qu'ils me remerciaient encore et encore et moi, je sanglotais comme un môme, je me souviendrai toute ma vie de cette émotion là. Expérience très forte, traversée de moments difficiles, dans l'échange et la (in)compréhension ... magnifique !
Je m’investi aussi depuis 2010 déjà, dans notre Association de comédiens ‘LesVoix.fr’ dont je suis un des membres fondateur et membre d’honneur, et dont le Père Fondateur est Patrick Kuban. Nous représentons les voix-références du métier ainsi que les nouveaux talents voix off de demain. L’idée étant de mieux faire connaître cette pratique du métier de comédien voix off et de partager nos valeurs avec tout notre environnement professionnel. Trois objectifs : rassembler, informer, échanger. Nous luttons contre une certaine Uberisation envahissante en faisant respecter la valeur du travail et en pratiquant des tarifs sains et justes. Avec une éthique, des règles, l’association ‘LesVoix.fr’ nous permet aujourd’hui de partager nos expériences, des informations utiles et d’améliorer nos pratiques. Afin de mieux organiser notre activité, nous avons rédigé une charte déontologique sur le modèle d’associations étrangères. Nous sommes à présent environ 200 ! Une véritable force! Bravo Patrick Kuban!
Ah oui, j’ajoute que je fais enfin à nouveau de la scène, des lectures de magnifiques textes avec un Grand Monsieur, Michaël Lonsdale ! Un pur bonheur, et un honneur !