Marie

Zidi

J'aimais l’idée d’inventer, de créer plein de personnages en modulant ma voix

Marie Zidi, c'est un arc en ciel. Une palette de voix incroyable, une technique implacable, et une sensibilité qui ne manque pas de toucher ceux qui la côtoient et évidemment ceux qui entendent sa voix. Essentiellement dans le doublage mais aussi dans le monde de la « voix off », Marie a su imposer un style bien à elle.

INTERVIEW

Bonjour Marie ! Pour commencer, raconte nous ton parcours !

Et bien... disons que j’ai un parcours assez atypique car je viens de la musique.
En fait, pendant des années j’étais chanteuse dans un groupe de gospel, je me suis lancée sur un projet perso et je me suis aperçue que ça n’était pas fait pour moi... que je n’aimais pas être seule sur scène, que ça m’effrayait même. Comme j’avais aussi pris des cours de théâtre, y compris à New York où j'ai suivi une formation de chanteuse et de comédienne, j'ai réalisé que la comédie me plaisait plus. J’avais toujours un certain manque de confiance en moi, donc j’ai commencé à penser à faire des voix off. J'aimais l’idée d’inventer, de créer plein de personnages en modulant ma voix , en la transformant, en élargissant mon spectre vocal. Cela doit venir de mon expérience de chanteuse.

Tu préfères jouer avec ta voix, plutôt qu’avec ton image ?

Oui, clairement et de toutes façons je n’étais pas assez « mégalo » et égocentrique pour ça (rires).
Mais c’est surtout qu’en tant que chanteuse, tu dois défendre ce que tu es à travers tes choix de textes, tes compositions. Alors ça doit être viscéral, évident… Et pour ma part, je n’avais pas grand chose à raconter ou à revendiquer.
Donc travailler derrière le micro, faire des voix dans l’ombre cela me semblait parfait !

Comment as tu démarré ?

C’était les débuts d’internet, je passais des heures sur mon ordinateur à essayer de comprendre comment rentrer dans ce milieu des « Voix off » . Mes recherches m’ont permis de me constituer un listing avec plein de studios. Je ne connaissais personne. J’ai cherché et j’ai commencé à faire quelques séances après avoir envoyé ma première démo qui était assez approximative. Et petit à petit l’oiseau a fait son nid comme on dit ! Un jour, j’ai rencontré un comédien qui commençait tout juste à faire du doublage. Il ne faisait que des « ambiances » et il m’a dit : « tu as déjà fait du doublage ? ».
Je lui ai répondu: « non, pas du tout, je sais à peine ce que c’est ».
Alors il m’a proposé d’aller sur un plateau, persuadé que ça allait me plaire. Il ne s’est pas trompé ! Je l’ai accompagné et j’ai eu un véritable « coup de foudre » pour le doublage.

Tu as trouvé ton élément ?

Comme une évidence ! Le poisson avait trouvé son océan. Un truc de fou !
C’est grâce à ce comédien qui est devenu un ami et que je ne remercierai jamais assez, que j’ai découvert ma vraie « voie ». J'ai dit 'stop' à la musique et me me suis inscrite à un stage de doublage. Puis, j’ai assisté à des plateaux « non-stop » ! Tous les jours, matin, après midi… Si on me sortait par la porte, je rentrais par la cheminée ou par la cave. J’étais très motivée !!!! J’ai fait cette démarche sans agressivité mais avec une vraie envie, un enthousiasme communicatif. J’avais juste envie de rentrer dans ce monde car j’adorais ça. On m’a tout de suite fait des beaux cadeaux avec de très  jolis rôles  et j’ai eu la chance de travailler très rapidement.
Un directeur de plateau m’a donné un rôle important. Il s’agissait d’un téléfilm sur les trois Drôles de dames . Et je doublais l’une d’elles. Je me suis retrouvée à la barre avec « des vieux de la vieille », alors que je ne faisais que des ambiances et des petits rôles à 200 lignes. Les autres comédiens ne l’ont pas forcément vu mais moi j’étais hyper stressée. Dès que je rencontrais une difficulté technique je pensais que les autres ne voyaient que ça ! Toujours ce manque de confiance... Je suis comme ça… Je suis à la fois une battante, je véhicule une énergie et une image positive. Mais d'un autre coté je suis plutôt quelqu’un de fragile et sensible.

C'était le moyen de faire de la comédie sans avoir à te montre ! Aujourd’hui tu doubles des grandes actrices comme Helena Bonham Carter, Jessica Biel... Comment y es-tu arrivée ?

Ça s’est fait au fil des rencontres. Déjà, je ne fais pas énormément de « 35 » (ndlr : 35 mm). Je double beaucoup de série et de téléfilm. C’est comme ça. Pour  Jessica Biel , c’est un directeur de plateau qui m’a choisie. Quelqu’un la doublait déjà, mais ce DA avait envie de faire un autre choix. Cela arrive parfois…
Concernant  Helena Bonham Carter , elle est toujours doublée par mon amie Laurence Breheret qui fait un travail magnifique sur elle. Pour son rôle dans Harry Potter , le rôle était très spécial. Vocalement, c’était particulier car il fallait faire des cris hystériques de sorcière, très aigus, puis très graves. Passer d’une voix de petite fille, à celle d’une démente… Donc j’ai été choisie sur ce rôle.
Pour moi le doublage, c’est un travail d’humilité . Tu dois te fondre dans le jeu d’un comédien ou d’une comédienne. Tu dois te faire oublier pour te mettre au service de l’autre et essayer de coller au maximum à la VO.

Tu n’as jamais besoin de t’informer sur la personnalité ou la psychologie du personnage que tu t’apprêtes à doubler ?

Tu fais avec ce qui t’est donné à l’image et en général, les situations sont assez claires. Il n’y a pas de préparation, on n'a pas de texte à l’avance. À toi d’être disponible, à l’écoute et pour ça il vaut mieux être en forme !
Parfois on te fait un petit debrief en arrivant sur le plateau mais tout va de plus en plus vite, alors ce n’est pas toujours le cas. Ce qui est magique, c’est quand il y a une vraie alchimie avec la comédienne que l’on double. Où on se sent en accord avec elle et ça, c’est très réjouissant.

On t’entend aussi sur des jeux vidéo comme « Assassin’s Creed », « Resident Evil » ou encore « Star Wars ». C’est la même technique ?

Non, c’est très différent parce que pour le coup tu n’as presque jamais d’image, très peu d’info, et éventuellement un visuel du personnage à doubler. Alors on se sert de la VO pour avoir les intentions de jeu. Ce qui est rigolo dans le jeu video, c’est la spontanéité. On te demande d’être opérationnelle tout de suite.
La musique me sert certainement parce qu’il y a une forme de musicalité qui s’exprime à travers le jeu.

C'est clair que c'est précieux pour nous, des comédiens qui ont de l'oreille…

Je comprends. Le fait d’avoir chanté me donne quelques clés au niveau de l’écoute. Ça éduque ton oreille. Il y a des acteurs français qui collent au plus prés la VO. Moi je n’ai pas cette prétention. Je fais du mieux que je peux.

La diversité des projets aussi, fait que c’est enrichissant ?

Oui, on travaille tous les jours sur des projets très différents. Tu passes d’un rôle d’une mère qui vient de perdre son enfant et qui crie au désespoir, à un film d’horreur, puis à un dessin animé et pourquoi pas à un rôle d’infirmière très empathique… Sur le plan émotionnel, il y a plein de choses à défendre : Ta palette s’enrichit à chaque fois et c’est génial quand les gens te font confiance. Je me suis retrouvée sur un dessin animé il y a quelques années pour Cartoon Network. Ça s’appelait « Les mésaventures du roi Arthur ». En VO, il y avait une seule comédienne pour tous les rôles féminins. Alors j’ai eu la chance de tous les doubler aussi : Guenièvre avec une voix d’hystérique et qui est insupportable et capricieuse, plusieurs sorcières, une vieille allemande excentrique avec un accent, un bout de bois qui zozote, la gouvernante d’Arthur qui est atroce avec un furoncle sur le nez et qui parle avec une voix de mec (elle fait une voix de camionneur). Quelle éclate !

Parlons un peu de voix off pub.

C’est une autre facette du métier passionnante aussi. Je n’ai pas une « identité vocale » particulière à mon sens ; une voix extrêmement reconnaissable qui fait que tu peux devenir « la voix » d’une marque ou « la voix » que tout le monde s’arrache.
Mais j’ai cette capacité à être polyvalente, à faire des voix off d’ado, d’enfant, de maman… Et je fais donc plein de choses différentes grâce à ça. Et le doublage, enrichit cette polyvalence. Tu vois quels sont tes atouts et quelles sont tes limites. Je n’ai pas l’esprit de compétition parce que j’ai toujours été dans le partage et je suis solidaire. Si on décide de me choisir pour un projet, c’est qu’on estime que je peux défendre le produit avec mes compétences et mon professionnalisme. Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’une autre le défendra mieux.

Ta préparation est-elle identique à celle du doublage ?

Ça dépendra ce qu’on me demandera de faire. Les contraintes en voix off sont plus compliquées parce que tu n’as pas de support, pas de comédien ou de comédienne dans lequel tu dois te fondre. Tu dois proposer ta version.
Parfois tu fais face à une dizaine de clients qui ne savent pas encore précisément ce qu’ils veulent, chacun ayant une intention différente en tête, alors tu y vas à tatons. Il faut comprendre que la voix off, c’est « la cerise sur le gâteau », c’est la dernière étape d’un projet qui a nécessité beaucoup de travail et beaucoup d’argent. Les enjeux sont importants.

Tu ajoutes à ça le fait qu’en séance de voix off pub, on a un cadre stricte avec un timing limité et souvent serré. Et tu dois donner un message avec l’émotion et une intention juste dans ce temps imparti…

Oui. Pas facile quand tu as 10 secondes pour être convaincant et charmer le consommateur...

Tu te souviens ta première collaboration avec la Sonacom ?

C’était des voif off pubs pour des téléphones, un dialogue entre deux filles un peu nunuches. On a fait du coup une série de plusieurs pubs, et on s’est éclatés. C’était avec Delphine Benatar. Mais la vraie aventure c'est Mon Album Comptines, ce magnifique projet où vous m'avez fait confiance pour interpréter 2 chansons... personnalisées avec 2500 prénoms ! C’était un travail titanesque n’est ce pas ???? (rire)…
Mais avec une équipe chaleureuse, archi-pro, convivial, des gens sympa et humbles, c'était (presque) facile (rires)! C'était un joli cadeau et j’en suis reconnaissante.

As-tu connu LA SÉANCE « GALÈRE » ?

Oui.. des essais sur une comédienne que j’avais déjà doublée pour une série. J’ai trouvé ces essais difficiles, mais les clients m'ont choisie quand-même. Les séances ont été assez laborieuses.
J’avais beaucoup de mal à rentrer dans le personnage qui avait une autorité naturelle, avec un flegme et un accent « british » très prononcé et qui parlait très lentement. Ça ne restera pas mon meilleur souvenir, c’est sûr !

Et ton meilleur souvenir de séance, alors ?

Une série qui s’appelait « Mercy Hospital », où je doublais le rôle principal.
J’adorais ce que faisait la comédienne américaine, sa sensibilité, son énergie… Ce qui est hyper excitant et assez jouissif, c’est quand tu écoute la VO, et que lorsque tu te mets à faire la VF, tu sens que ça colle vraiment avec ta proposition de jeu. Qu’il y a une symbiose. Il y avait des très belles scènes d’émotion parce que c’était une infirmière qui était dans l’accompagnement des patients, et dans l’empathie.

Est-ce que ça a été compliqué pour toi, un moment donné d’être la fille de Claude Zidi, réalisateur « césarisé », avec la carrière qu’on lui connait ?

J’ai 7 frères et sœurs. Mon père est quelqu’un de très humble, très discret et pudique. Son seul souhait a toujours été de nous savoir heureux, qu’importe nos choix professionnels. Chacun a fait son bonhomme de chemin sans avoir à lui demander d’aide. Je dirai que ça a été compliqué pour moi de manquer de confiance et de ne pas m’accorder le droit de travailler face à la caméra. Mais ce n’est de la faute de personne. Et je suis heureuse de mon parcours et de tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant.

As-tu des projets ?

M’éclater ! Et expérimenter aussi. Je suis dans une phase où je me dis que j’aime que la vie soit un éternel recommencement, qu’elle me surprenne et que je décide de la rendre surprenante en allant créer des opportunités. J’ai la chance de vivre de mon métier alors voyons ces projets comme un bonus. Je veux continuer à exercer mon métier, et faire en sorte que ça continue à bien se passer.
J’aimerais me consacrer à l’écriture aussi. Pour le moment je suis un peu dans la procrastination, parce que ce sont des « bébés » difficile à accoucher, mais j’ai des envies. Il y a la peur du vide, il faut se jeter dans le vide.

Un scénario ?

J’ai plusieurs idées mais comme je ne suis pas sure de vouloir ou de pouvoir écrire seule, j’attends la bonne collaboration. Et si cela tarde, je m’y mettrai certainement toute seule ! Et on s’enrichit chaque jour des choses de la vie. Ce qui t’arrive à 20, 30, ou 40 ans te nourrit en tant que comédiens ou en tant que futur scénariste et encore une fois c’est une question de timing. J’ai plein d’envies. C’est la chance qu’offre ce métier de pouvoir vivre plusieurs vies, se renouveler et se remettre en question.