Jacky

Nercessian

On oublie trop souvent l’importance du silence

Jacky Nercessian est un séducteur ! Alors pour toucher votre âme, il va user de sa voix, de ses graves, de ses silences et de son sens du jeu. Derrière un micro, Jacky va créer des personnages subtils, esthétiques où les sous-entendus sont parfois plus forts que le texte. Gravité, fantaisie, intelligence, humour… Jacky est habité par la richesse de ses racines. C’est un comédien voix off rare et précieux.

INTERVIEW

Je le dis, et je ne suis sûr que je ne suis pas le seul, Jacky Nercessian pour moi, c’est le Narcisso Show. Loin de moi de vouloir réduire ta carrière à cette émission, je veux juste dire qu’avant de te connaitre par ta voix, je t’ai connu par l’image ! Tu as commencé par la comédie, n’est ce pas ?

Alors pour commencer j’ai l’impression que c’est très ancien. Je suis né à Saint-Etienne et suis d’origine arménienne avec une grand mère mariée à un avocat de la cour de Césaré, qui a donc subi le génocide. Elle m’a conféré un statut privilégié au sein de la famille… Bref je me suis très tôt rendu compte qu’il fallait jouer différents rôles pour plaire aux gens. Comme il y avait une certaine forme de tristesse dans cette famille, il fallait faire rire. Je me rendais compte qu’en les faisant rire j’enlevai un peu de leur peine. Donc la comédie, je l’ai commencée tôt, sans prendre de cours au départ. J’ai, plus tard, été au conservatoire, après mes études de théologie, mais nous y reviendrons…

Qui t’a permis de rentrer dans le monde de la comédie professionnelle ?

Alors dans le quartier le plus pourri de St Etienne où nous vivions, il y avait une institution qui s’appelle la comédie de St Etienne, le premier théâtre décentralisé en France dirigé à l’époque par Jean Dasté, qui avait fait des films comme « Zéro de Conduite », « Boudu sauvé des eaux », qui a aussi joué de petits rôles pour Resnais… Bref, j’y allais énormément. Donc j’ai été influencé par Jean Dasté, et par plein d’autres personnes, pas forcément du milieu d’ailleurs, notamment par des instituteurs qui m’ont donné goût à la lecture.
À 19 ans, j'étais déja ouvert à une forme de pritualité, j’ai donc décidé de faire des études de théologie en Angleterre. À la fin du cursus, j’aurais pu continuer mes études aux Etats-Unis pour devenir pasteur mais ma mère avait de grosses difficultés financières : Elle faisait les marchés et avait ouvert une boutique de prêt-à-porter et j’ai décidé de l’aider un peu.. ça a a duré 15 ans ! Mais je ne m’occupais pas de cette boutique comme un commerçant, j’y faisais des défilés de mode, j’ai fait des affiches de pubs dingues où je posais à poil dans une baignoire remplie de billets, elles étaient visibles sur le parvis de l’hôtel de ville de St Etienne, le tout sans autorisation bien sûr… Mais dans le fond c’était toujours : « Regardez moi, et s’il vous plait marrez vous !! ».
En 81, je participe à la création de radios sur St Etienne suite à l’ouverture des ondes par Mitterand . Rapidement après, il y a eu une préfiguration de la télé par câble dans la ville et j’ai travaillé avec Jean Christophe Bouvay à qui l’on avait confié la réalisation de certaines émissions. Au départ je devais être son assistant, mais il m'a gardé comme présentateur. Et ça c’est enchaîné.
Il n’y a pas eu de rupture, je suis entré dans la comédie sans vraiment m’en rendre compte. Cette expérience où j’ai beaucoup appris a duré deux mois, Jean Christophe Bouvet est remonté sur Paris et il m’a rappelé rapidement pour me proposer de participer à une nouvelle émission diffusée sur TF1 qui s’appelait « Pirates » où je devais me faire passer pour un prêtre et piéger Jean Edern Hallier. Je n’avais que quelques instants pour prendre ma décision et j’ai accepté. Je me suis retrouvé le lendemain dans les studios de Cognac Jay, déguisé en prêtre une bible à la main et je l’ai affronté. Plus l’entretien avançait, plus il me massacrait et moi je marquais des points parce que je restais extrêmement calme et grâce à quelques versets bibliques bien sentis je le culpabilisais et pour se défendre il devenait ridicule. A la fin de l’entretien, il a envoyé un assistant vérifier si j’étais bien un prêtre et, découvrant la supercherie, il m’a invité le soir même à diner car il avait été bluffé. Dans la deuxième émission de « Pirates » j’ai piégé Patrick Sébastien… Quelques jours plus tard, coup de fil du réalisateur Claude Miller qui me dit qu’il à vu le sketch avec Patrick Sébastien, et qu’il y a cru de bout en bout. Il me propose alors un rôle dans le film « La petite voleuse » avec Charlotte Gainsbourg où je dois jouer un vendeur de fringues qui se fait voler. Puis les choses se sont enchaînées et j’ai tourné avec Doillon, Verneuil jusqu’à Luc Besson dans « Adèle Blanc Sec ».

De la radio et de la comédie, tu étais fait pour la pub radio !

Je m’y suis vite senti à l’aise c’est vrai. J’avais déjà fait pas mal de pub à St Etienne, autant dans l’évènementiel que dans la radio en tant que voix off. Je ne suis pas un comédien qui fait de la pub seulement pour des raisons alimentaires. Et par opposition, je n’aime pas du tout la synchro, le doublage qui est au final un exercice où je n’ai que très peu d’espace de création. J’ai adoré faire des personnages de pub, ça collait bien avec mon activité en radio, où j’avais carte blanche tant dans la réalisation que dans le contenu éditorial. Ensuite il m’est arrivé d’avoir à refuser à faire des pubs : par exemple on m’a proposé de tourner dans une pub en Roumanie pour un bière brune irlandaise, ayant un père qui souffrait d’alcoolisme je ne me voyais pas dans ce genre de contradiction là.
Ensuite, dans le travail de la voix j’inclurais aussi le théâtre et les rencontres avec Josiane Balasko, Patrick Timsitt…

Quelle différence fais-tu entre la comédie en tant que voix off et la comédie sur les planches ou devant une caméra de télé ou de cinéma ?

La voix et le corps… Tu vois, j’aime bien travailler la voix mais je suis très bavard et je pense que dans le travail de la voix off, on oublie trop souvent l’importance du silence. Au théâtre ou au cinéma c’est plus facile, car la communication n’est pas qu’auditive et lorsque l’on se tait la communication passe par d’autres canaux : le geste, le regard, le mouvement. Dans le travail de la voix off, beaucoup de gens ont peur du silence et notamment en radio, alors que je pense que le silence interpelle plus l’auditeur et capte d’autant plus son attention.

Comment vois-tu l’évolution du milieu audiovisuel depuis tes débuts ?

Tu vois, Henry Verneuil, un type très dur qui ne se cachait pas de faire des films commerciaux, m’a dit un jour: «  Avant je travaillais avec des producteurs qui aimaient l’argent mais qui adoraient le cinéma, aujourd’hui j’ai affaire à la Lyonnaise des Eaux, je ne comprend plus. » Alors je me dis, en vieillissant peut être, qu’il y a des générations qui ont une action efficace mais que ce soit à la télé, à la radio, au cinéma, je trouve que l’agressivité est clairement montée d’un cran. Pas forcément la violence dans le contenu mais plus dans la manière dont le contenu nous est proposé et des jugements sociologiques qui en découlent. Quand j’étais jeune, nous voulions faire chauffeur de bus, pompier, voire (pour les plus ambitieux) médecin... aujourd’hui, il y a des gamines de 12 ans qui veulent faire star de la télé-réalité.
Donc pour moi, ce qui a le plus changé ces dernières années, c’est surtout l’agressivité. Les jugements qualitatifs se font à l’aune des résultats financiers, des profits. Je pense que c’est un métier fragilisant, qui aggrave les névroses, un métier à ne pas conseiller à des malades mentaux. Mais la plupart des gens qui font ce métier sont des malades mentaux et c’est ça qui les rend attachants, et je n’échappe pas à cela !

Comment as tu connu la Sonacom - Dominique Perrin ?

Par un ami commun et en plus nous venons de la même région, Dom venant de Roanne. Et ce qui m’a touché chez Dominique, c’est un sourire permanent, et que même au travers des problèmes ou des soucis, il a ce sourire en lui. C’est quelqu’un en qui on a confiance immédiatement, avec qui on a envie de partager des choses, je pense qu’il a un grand amour des êtres humains. Et il me semble que cet amour transparait dans la gestion de son entreprise. Je peut dire que c’est un ami, ce qui se fait rare dans ce milieu.

Pour finir, une petite anecdote de voix off ?

Celle que je garde et qui m’a d’ailleurs été gentiment empruntée par Julie Victor pour un spectacle, c’est : « Est-ce que vous pouvez le dire plus vite en donnant l’impression que c’est plus lent ? » J’ai répondu du tac au tac : « Pas de problème, est-ce que vous pouvez me montrer ? » Et bien sur ça a calmé tout le monde !!