François

Berland

Bizarrement, pour le cinéma ma voix a toujours été un problème

François Berland fait partie de ces comédiens qui ont investi notre univers sonore depuis longtemps. Sa belle voix de velours, grave, fait partie de notre paysage sonore. Sa formation de comédien et son humeur constante lui permettent d'aborder tous les genres. Tout lui plaît : les voix off, la pub, les bandes annonces, les livres audio, les documentaires, les contes, le doublage… Généreux et créatif, force de propositions, il aime la précision, l'inspiration, la rigueur et le travail bien fait.
Rencontre amicale et privilégiée.

INTERVIEW

François, par quelle porte es-tu entré dans ce métier des voix off ?

J'étais un gamin de province nul en classe (deux échecs au bac, l'un des rares à avoir échoué au BEPC, et je n'ai passé le "Certif"), je rêvais de jouer la comédie et de monter à Paris pour m'inscrire aux cours Simon . Ce qui est plus rare pour l'époque, c'est le fait que mon père m'ait encouragé et même aidé, parce qu'il aurait lui-même voulu devenir comédien et que les nécessités d'après-guerre l'en ont empêché. Deux ans d'apprentissage classique, une "bourse Marcel Achard", j'étais convaincu que Paris m’attendait. Puis deux ans galère dans la capitale, sans réseau, jusqu'à ce qu'un camarade, passé depuis par la Comédie Française, me demande de lui donner la réplique pour l’entrée à la "Classe Libre" du cours Florent, une prestigieuse et gratuite formation de fin de cycle. En fin d'audition, François Florent me demande «Et vous, pourquoi vous ne vous présentez pas ?». Je bosse deux scènes en 48 heures, j'intègre sa classe et, durant deux ans, j'apprends à me connaître et j'y forge des amitiés durables : Gilles Cohen, Emmanuelle Devos, Antoine Duléry, Anne Brochet, Christian Charmetant. Des rencontres : Karine Viard, José Garcia, Emmanuelle Seigner, Lionel Abelanski et d'autres… Nos profs: Jacques Weber, Françoise Seigner, Pierre Roman et Francis Huster qui embarque une dizaine d'entre nous dans ses bagages au Théâtre du Rond-Point. On joue "Le Cid", "Richard III" avec Jean Marais, Jean-Louis Barrault, Martine Chevalier, Pierre Clémenti, Isabelle Nanty. Après quoi je rejoins Silvia Montfort dans son "Carré", puis je retrouve Francis à Marigny pour un "Misanthrope" avec Robert Hirch

Comment es-tu passé du théâtre aux voix-off ?

Dès ma sortie de chez Florent, des amis réalisateurs m’ont demandé d'enregistrer pour des documentaires et des reportages. La directrice artistique de France Télévision les a entendus et m'a proposé de devenir la voix d'antenne de France 2. C’était la fin des "speakerines" et le début des voix off programme. Et j'ai partagé l’habillage de la chaine avec une voix féminine pendant deux ans (c'est mon chiffre !).

Être la voix d’antenne de France 2 t'a donné un sérieux coup de pouce ?

Mieux que ça ! Avant, je distribuais ma petite cassette partout, sans grand résultat. Depuis, le téléphone n'a jamais cessé de sonner.

On dit "merci Papa, merci Maman" pour cette voix magnifique ?

Evidemment, mais l'ancien cancre a beaucoup travaillé pour améliorer son outil. C'est même une victoire sur mon enfance: petit, je zozotais, j'étais dyslexique et l'émotion me rendait bègue ! Ce genre de règlement de compte avec le passé est assez fréquent chez les comédiens. Quant à mon timbre, il n'a pas toujours été un avantage: après m'avoir vu à l'audition publique de sortie du cours Florent, Dominique Besnehard m'a présenté à Pialat, Mocky, Godard… La plupart m'ont dit: « j’aime bien votre nature, mais j’ai un problème avec votre voix, votre diction; Vous avez une "voix d’acteur", pas celle d'un garçon de votre âge».
Et Dominique m'a prédit «Ça sera ton problème, au moins jusqu’à 50 ans, après ton physique ira avec». C’est vrai que depuis, les castings se passent beaucoup mieux ! Il y a sûrement un atavisme familial : arrière grand-père magistrat, grand-père, père, oncle et frère avocats et bâtonniers, ça laisse des séquelles !

À part les voix off, tu as d’autres activités ?

Je travaille à un projet de mise-en-scène, j'ai déjà dirigé. J’ai fait des adaptations, j’ai écrit des scénarios pour la télévision, trois ont été réalisés.
Je fais aussi du coaching pour certains camarades comédiens avant leur tournage. Mais je suis comédien avant tout, je tourne aussi souvent que je peux, même si c'est surtout ma voix qui m’a nourri, qui m’a permis de rester libre et parce que j'adore ça. Je n'ai pas d'état d'âme pour vendre un produit ou raconter une histoire, j'en ai en revanche pour accepter un rôle.

As-tu encore des envies, de choses pas accomplies ou pas abouties ?

Le chant, mon grand regret ! Enfant, j'étais choriste à la cathédrale de ma ville natale, avec un joli costume rouge et blanc. Ado, j'avais mon grenier avec ma console, mon micro, mes instruments. Puis j'ai mué et je n'ai plus trouvé le temps. Chanter permet une transposition de l'émotion, un abandon sans réserve. La pudeur et l' égo rendent le jeu d'acteur plus complexe, parce qu'on n'a pas d'autre talent et d'outil que soi-même. Les planches du théâtre me manquent aussi, c’est la vraie place du comédien. La présence du public décuple la puissance, l'acuité. Sa sentence et sa gratification sont immédiates. Les répétitions sont au mieux réussies, seules les représentations peuvent devenir magiques.

Et le doublage ?

J’en fais peu, on m'y connait surtout comme l'incontournable narrateur des bandes annonces de film, et aussi pour les voix off des pubs de sorties DVD. Mais ça m'arrive, comme pour Georges Clooney dans "Jeu de Dupes". J'ai une grande humilité face aux acteurs de doublage, lesquels ne sont pas respectés à leur juste valeur. Il y faut autant d'inspiration et d'énergie que de technique.

As-tu de la nostalgie ou quelques regrets par rapport à l’évolution de ton métier ?

Je peux lui faire le même reproche qu’à tous les métiers : le rapport au temps, à l'urgence. Aujourd'hui, tout est à faire pour hier, au dépend de la préparation, de la réflexion, de l'amélioration et parfois même du savoir vivre. On en souffre d'autant plus que ce ne sont pas des activités comme les autres. Le stress et les conflits brouillent l'esprit créatif. Il faut de l'écoute, de la complicité et de l'humanité pour donner le meilleur.

Te souviens-tu de tes premières séances de voix off en studio chez Sonacom ?

1997, pour René Château Vidéo, à Neuilly avec Monsieur René Chateau lui-même ! Mais la toute première voix off doit être bien avant. On faisait aussi beaucoup de voix off pubs pour les maisons de disques : J'y ai toujours trouvé des conditions optimales d'enregistrement… Et les yeux d'Alexa !

Pour conclure tu peux nous donner quelques-unes de tes références ?

Je suis la voix d’antenne de RFM, de Nostalgie Belgique, après avoir été celle de Nostalgie Paris. J’étais la voix off du premier "Maillon Faible" et de "Mr Manatane". Je fais des bandes annonces pour Disney depuis plus de vingt ans, je suis le narrateur de Winnie l'Ourson, des Ozzie-Boo et aussi l’identité vocale de plusieurs marques. J'adore m'auto-parodier pour Les Guignols ou le Petit Journal. Et pour les amateurs, j'ai enregistré plus d'une cinquantaine de livres audio, des classiques, des polars et quelques pavés comme "Le nom de la rose" et "Le pendule de Foucault" d'Umberto Ecco, l'intégrale des "Rois Maudits" de Maurice Druon. Quelque soit l'exercice, j'ai toujours autant de plaisir à être derrière un micro.